Le deus ex machina
- un héritage ou la trouvaille d’un objet d’une importance capitale ;
- une mort subite façon crise cardiaque ou une guérison improbable ;
- le livre ou la montre devant le cœur qui sauve la vie du héros ;
- une intuition ou la compréhension opportune d’une énigme ;
- une panne — un fusil qui s’enraye — ou un déblocage — la voiture qui redémarre ;
- une coïncidence extravagante, des personnages qui se croisent au bon moment ;
- une nouvelle ou une révélation qui arrange bien les choses ;
- toute phénomène naturel ou climatique propice ;
- le réveil d’un affreux cauchemar, une hallucination ou la fuite d’une illusion ;
- le hasard providentiel, quelque chose qui arrive sans raison ;
- l’adversaire qui se révèle être un allié caché depuis le début ;
- la magie, du surnaturel ou un superpouvoir.
- le phœnix Fumseck apparaît avec le Choixpeau magique sans qu’il soit à aucun moment expliqué comment Fumseck savait où trouver Harry Potter et comment il a fait pour pénétrer dans un lieu décrit à plusieurs reprises comme inaccessible et dont tout le monde ignorait l’emplacement, dont Dumbledore ;
- l’oiseau crève les yeux au basilique sans être tué par son regard mortel ;
- l’épée de Godric Gryffondor apparaît dans le Choixpeau permettant à Harry Potter de tuer le monstre ;
- les larmes du phœnix sauve le jeune sorcier de sa blessure normalement mortelle ;
- Harry Potter se sert d’un croc du basilique pour détruire le journal de Tom Jedusor décrit comme indestructible (Ginny dira avoir échoué à le détruire malgré ses efforts).
- provoquer un défaut de vraisemblance : le hasard existe, mais pas en dramaturgie, sinon cela contribue à rendre l’histoire surréaliste et peu crédible. Dans la vie, on ne résout pas ses problèmes en attendant qu’un heureux hasard vienne tout régler. Surtout quand le hasard n’est pas sollicité, plus ou moins inconsciemment, par la personne qui en bénéficie ;
- rompre la suspension consentie d’incrédulité : le lecteur sait que dans une œuvre de fiction, le hasard n’a rien de fortuit en étant le fruit d’une décision de l’auteur. L’immersion dans le récit est perdue dès l’instant où le lecteur comprend que ce qui se passe ne découle pas d’éléments internes à l’histoire. En plus de rendre le récit inintéressant, la facilité scénaristique passe pour de l’incompétence ou un manque d’imagination de la part l’auteur ;
- susciter de la frustration et de la déception : le lecteur voit d’un mauvais œil que le protagoniste qu’il suit depuis chapitres et auquel il s’identifie ne parvienne pas à s’extraire par ses propres moyens d’une situation critique. Toute l’incertitude quant à la réussite du héros disparaît et les efforts du lecteur pour chercher les indices ou deviner ce qui pourrait se produire n’ont mené à rien.
Le diabolus ex machina
Dans une autre mesure, il existe une version inverse au deus ex machina :
le diabolus ex machina. Moins connu et moins problématique, il s’agit pour le protagoniste d’un obstacle gratuit, imprévisible, pénalisant, mais jamais déterminant. Sinon, cela peut prendre la forme d’un deus ex machina, mais au profit de
l’antagoniste.
Contrairement au deus ex machina, le diabolus ex machina se manifeste avant ou après le climax. Soit le héros parvient trop facilement à progresser aux dépens de l’antagoniste, et alors des difficultés apparaissent pour le ralentir ou limiter ses capacités. Soit après la défaite de l’antagoniste, quand toutes les intrigues secondaires n’ont pas encore été abouties, il peut arriver une aggravation de la situation afin de créer des rebondissements pour rallonger l’intrigue artificiellement.
Par exemple, dans
Seul sur Mars, la paroi de l’habitat subit une déchirure déclenchant une décompression brutale qui manque de tuer Mark Watney.
Le petit champ de pommes de terre est exposé au vide, ce qui stérilise définitivement le sol utilisé pour sa culture. Alors que ces cultures improvisées lui offraient des mois d’alimentation, l’astronaute ne peut plus compter que sur les pommes de terre déjà récoltées, ce qui ne lui permettra pas de survivre jusqu’à l’arrivée du prochain équipage. Watney étant trop compétent et sa survie étant trop facile, cette explosion tombe à pic. Un diabolus ex machina peut ainsi se justifier s’il renforce l’incertitude quant au sort du protagoniste.
L’autre exception acceptable demeure à l’instar du deus ex machina en prémisse d’une œuvre où le lecteur accepte également une aggravation inexpliquée de la situation du protagoniste pour amorcer l’intrigue et créer une tension dramatique avant l’augmentation des enjeux au point de non-retour vers le milieu du second acte.
Il n’en reste pas moins qu’en règle générale, les diabolus ex machina sont à peine plus recommandables que les deus ex machina car ils sont ressentis par le lecteur comme des obstacles purement artificiels qui trahissent les faiblesses créatives de l’auteur.
Une facilité n’annule pas une autre facilité
Avant toute chose, il convient de lister les astuces qui semblent corriger les deus ex machina, mais qui ne font en réalité que les compenser :
- les personnages s’étonnent eux-mêmes de ce qui leur arrive : le deus ex machina est assumé, ce qui revient à masquer l’absence de logique par un excès de mise en scène. En réalité, cela a pour effet d’aggraver l’annulation de la suspension consentie d’incrédulité en faisant sortir les personnages de leur propre récit. Toutefois, il faut reconnaître que la technique fonctionne dans une certaine mesure pour le diabolus ex machina où effectivement, s’interroger sur le malheur qui nous accable paraîtra toujours plus crédible que de disserter sur un hasard salvateur ;
- l’explication vient après coup : la faiblesse du scénario se révèle d’autant plus avec ce qui n’est rien d’autre qu’une tentative de réparation. L’auteur s’adresse indirectement au lecteur, or c’est la pire chose à faire car il vaut mieux l’amener à comprendre ce qu’il se passe plutôt que de tout lui donner tout cru. Une variante consiste à introduire un indice en ne donnant pas d’explication, mais en suggérant que le deus ex machina s’est produit pour une bonne raison, sans que celle-ci ne soit jamais donnée. Non seulement ça complique inutilement l’intrigue, mais en plus cela fait croire à une révélation qui ne vient jamais, ce qui ne manquera pas de laisser le lecteur sur sa faim ;
- le destin ou la fatalité
: les événements ne pouvaient pas se passer autrement, soit à cause de circonstances impossibles à changer, soit parce que les personnages suivent une voie qui n’a pas d’autres issues. Cela équivaut à éliminer toute alternative pour forcer la réalisation d’une seule possibilité. En somme, la tragédie sans le tragique. Ou alors une prophétie fait partie de l’équation. L’astuce retire tout intérêt à suivre les efforts des personnages si une prophétie ou un contexte leur assure forcément une victoire au moment le plus critique.
Comment éviter un deus ex machina
Un deus ex machina est facile à identifier car il traduit trop souvent un manque d’idée de la part de l’auteur, sinon une faiblesse narrative. Une faiblesse qui ne découle pas d’une absence de talent, mais plutôt d’une sous-estimation de l’exigence du lecteur, d’un excès d’enthousiasme pour un coup de théâtre ou de la satisfaction pour un rebondissement à défaut de mieux. Heureusement, tout n’est pas une affaire d’imagination, et quelques outils permettent d’écarter de son récit ce genre de facilité :
- le principe de non-ingérence : faire en sorte que l’aide vienne du protagoniste lui-même sans passer par l’introduction d’un élément extérieur au récit. De la même manière que les meilleurs obstacles restent les faiblesses, les craintes, les paradoxes et les défauts du protagoniste, les meilleures solutions découlent des épreuves surmontées, des connaissances acquises à travers son périple et d’une prise de conscience, sinon la maîtrise de ses propres capacités ;
- l’ironie dramatique : il s’agit d’une technique de narration qui consiste à révéler au lecteur une information, le plus souvent essentielle, que les personnages ignorent, ne comprennent pas ou interprètent mal. C’est un procédé littéraire particulièrement utile pour entretenir l’intérêt le lecteur et pour lancer l’intrigue ou donner plus de tension à certaines situations. La série Columbo illustre cette technique car le spectateur sait qui est le meurtrier et commet il a fait alors que le lieutenant l’ignore. L’ironie dramatique se construit en plusieurs temps : d’abord la préparation où le lecteur apprend l’information et aussi le fait que le personnage principal l’ignore, ensuite l’exploitation qui consiste en une série de quiproquos et de conflits qui sont générés suite au manque d’information du personnage, et enfin la résolution, durant laquelle le personnage principal apprend ce qu’il ignorait, et agit en conséquence ;
- le diabolus ex machina : deux options sont possibles avec l’idée que la providence a un coût, et qu’un deus ex machina est donc assorti de conséquences terribles. Soit le protagoniste se sort d’une situation pour tomber dans une autre situation encore plus terrible. Soit le protagoniste réchappe d’un piège mortel, mais il en gardera des séquelles pour toujours. L’astuce reste néanmoins à manier avec précaution pour ne pas se retrouver avec une surenchère d’effet ou de rebondissement au risque de rendre l’histoire trop invraisemblable ;
- le refus de l’aide
: le protagoniste est caractérisé de telle manière qu’il voudra se sortir lui-même de la situation dans laquelle il est malgré une aide qui pourrait le sortir d’un mauvais pas. Le risque étant que le protagoniste soit motivé par l’orgueil, la naïveté ou la peur. Il est ainsi préférable qu’il soit animé par une posture plus noble comme la volonté de l’emporter à la loyale ou de prouver sa valeur. Le mécanisme fonctionne d’autant mieux si l’aide sous forme de deus ex machina est moralement tendancieuse ;
la préparation/paiement : autre technique narrative qui repose sur le fait de montrer un élément au préalable dans le récit pour justifier son apparition ultérieure.
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